New-York a accueilli deux foires d'art à la fin du printemps : Frieze New York et 1-54 New York. Alors que les foires et autres événements artistiques rouvrent progressivement leurs portes au public, une grande partie de la promotion a toujours lieu en ligne. Les « viewings rooms », ou plateformes de visionnage en ligne, et les conférences sont vos co-hôtes de prédilection. Quels ont été les points forts de cette année ? Pour la première fois, Frieze New York s'est tenu à « The Shed », un nouveau centre d'art récemment construit à Manhattan. Avec une fréquentation et une capacité de rassemblement réduites, la foire a mis l'accent sur son développement et son engagement social et communautaire, notamment par le biais de l'hommage au Vision & Justice Project. Comme le présente Frieze : « le projet est dédié à l'observation du rôle central de l'art dans la compréhension de la relation entre la race et la citoyenneté aux Etats-Unis » ou en d'autres termes : « Comment les arts peuvent-ils perturber, compliquer ou modifier les récits de la représentation visuelle dans le domaine public ? » Une question à laquelle la plupart des galeries participantes se sont engagées à répondre dans leurs propositions. Cette préoccupation - encore plus critique après le mouvement Black Lives Matter, et sans doute dans un contexte américain - a été au cœur de l'art visuel contemporain africain et diasporique. Cette initiative a été l'occasion d'honorer les efforts d'une génération d'artistes, de penseurs culturels et de praticiens qui se sont efforcés d'aborder et de remédier aux omissions et aux injustices véhiculées par et dans la culture visuelle américaine. La projection du documentaire de HBO, Black Art: In the Absence of Light (2021), pendant la foire en est un bon exemple.
Comment décomposer la première foire d'art de New York parmi plus de 60 galeries au Shed, et les œuvres de 160 galeries exposées dans la viewing room de Frieze? Notables dans ce contexte, la Jenkins Johnson Gallery avec des œuvres de Ming Smith, Blessing Ngobeni et Amani Lewis entre autres, ainsi que la Goodman Gallery, exposant des œuvres de Misheck Masamvu, Pamela Phatsimo Sunstrum, William Kentridge et bien d'autres.
Le stand de la Goodman Gallery à Frieze New York 2021. Extrait de:artsy.net
La poésie performative de Precious Okoyomon est sur toutes les lèvres à New York, lo jeune poète nigério-américaim ayant reçu le prix de l'artiste Frieze 2021. Pour l'occasion, iel a présenté une installation sensorielle unique et fantastique, activée par une performance, intitulée « Fragmented Body Perceptions As Higher Vibration Frequencies to God », commissionnée à la suite de sa victoire du prix. L'œuvre à plusieurs voix de l'artiste « This God Is A Slow Recovery » s'est également imposée à travers The Shed dans une dissonance harmonieuse. Iel nous rappelle que la poésie n'a certainement pas disparue et qu'elle peut transcender les implications littéraires pour rencontrer l'art visuel et la vivacité. Selon ses mots : « Les poètes vont sauver le monde ».
Il faut bien se demander qui va sauver le monde en ces temps d'agitation sociale mondiale. Dans le cadre de Frieze Viewing Room 2021, la October Gallery a exposé des œuvres de plusieurs de ses artistes, dont la poignante sculpture de Romuald Hazoumè, « The Cry of the Whale » (2016), qui traduit sans équivoque les notions de désespoir et de salut.
Romuald Hazoumé. The Cry of the Whale (LLB). 2016. Métal, plastique, bois, tissus, 250 x 650 x 140 cm. Avec l’aimable autorisation de la October Gallery.
Enfin, le très vivant Addis Fine Art a permis à Helina Metaferia de faire ses débuts en solo avec une série de collages et un film d'accompagnement traitant de la sous-représentation de l'implication des femmes racisées dans les luttes de libération et d'émancipation - un sujet d'actualité radical.
Helina Metaferia. Headdress XVII. 2021. Avec l'aimable autorisation de l'artiste et d'Addis Fine Art.
L'essentiel de l’activité de Christie’s se déroulant en ligne, il a dû être rafraîchissant de voir l'exposition Knotted Ties à la Rockefeller Plaza dans le cadre de 1-54 New York. Les pratiques du textile, du fil, du tricot et du tissage façonnent de plus en plus notre conscience de l'art africain contemporain et remettent en question les formes d'art plus traditionnelles. Présentant exclusivement des œuvres de femmes, l'exposition se penche sur un artisanat communautaire capable de refléter l'enchevêtrement de nos histoires, identités, intersections et cultures, tout en exploitant la dimension généalogique et de transmission du médium. L'exposition présentait les artistes sud-africaines Kimathi Mafafo et Turiya Magadlela, ainsi que l'artiste établie Joana Choumali.
Kimathi Mafafo. Self Realization I - (Maitharabogelo). 2021. Broderie à la main et à la machine. Avec l'aimable autorisation de EBONY/CURATED
Engagée simultanément sur deux fronts, la October Gallery a exposé - parmi d'autres artistes - des photographies de James Barnor dont le riche corpus d'images est une fenêtre sur le highlife qui caractérise la période post-indépendance du Ghana, ainsi que d'une diaspora africaine qui s'installe à Londres et à travers le Royaume-Uni - actuellement exposé à la Serpentine North Gallery à Londres jusqu'au 22 octobre 2021. Le prix d'art Ritzau 2021 qui a été décerné dans le cadre de 1-54 New York a honoré un autre photographe : Micha Serraf. Cet artiste et directeur créatif talentueux propose des portraits doux, non conventionnels et soigneusement mis en scène, produits d'une vision singulière sensationnelle.
Micha Serraf. Série Stay Soft. 2017. Avec l'aimable autorisation de l'artiste. Extrait de:bubblegumclub.co.za
Afin de s'adapter aux exigences du format numérique, la foire d'art s'est associée à Artsy pour offrir une expérience de visionnage inclusive où chaque œuvre d'art pouvait être visionnée en deux dimensions. Les conservateurs d'art Christine Eyene ou Omar Berrada, entre autres, proposent des résumés de moments forts sur la plateforme. Sur 446 œuvres d'art, Pavillon 54 retient le travail de Marc Padeu, Khari Turner, Abebebe Dawit, Tina Williams Brewer, Jean David Nkot et Hana Yilma Godine.
Hana Yilma Godine. Spaces Within Space 2. 2019. Avec l'aimable autorisation de la Fridman Gallery
1-54 a également mis en avant son Forum dont l'intention a été de « considérer le rôle des artistes et des espaces créatifs comme des véhicules et des vaisseaux qui partagent nos récits humains et comme des chroniqueurs de nos réussites et de nos échecs ». Cette année, Frieze et 1-54 New York se sont fixé pour objectif de promouvoir et d'entretenir la capacité des formes et des expressions artistiques à raconter et à redresser les torts. Après une période sans précédent de bouleversements sociaux, l'appel sans compromis à laisser l'art exprimer notre malaise et nos aspirations intérieures et collectives a atteint le segment new-yorkais des deux foires.