Photographie Africaine Contemporaine

Janvier 12, 2021
Asiko - A black life
Asiko - A black life

L’Afrique et sa diaspora à travers le globe ont été en contact avec l’art de la photographie dans toute sa complexité. Un outil colonial et ethnographique à l'origine, des photographes tels que Malick Sidibé, Seydou Keïta, Jean Depara, Sanlé Sory, Mama Casset ou James Barnor ont adopté cette forme d’art alors que les indépendances s'établissaient à travers le continent. Considérés comme les précurseurs de la photographie africaine - il faut être prudent avec cette affirmation - ils sont les auteurs d’une œuvre distincte: photographies en noir et blanc,  portraits mis-en-scène, un certain style de documentation. On retrouve dans cette œuvre l'enthousiasme général propre à la période des indépendances, avec ses promesses d'émancipation sociale et individuelle. La popularité de la photographie sur le continent fut accompagnée par l'accès à du matériel de photographie, ainsi qu'à une vaste sélection de produits contemporains.  Ces précurseurs communiquent le ressenti d’une période et d’un contexte historique spécifique -  en Afrique de l’Ouest et en Afrique Centrale dans ce cas.



Jean Depara, Night & day in Kinshasa © The Eye of Photography

 

À des milliers de kilomètres, en Afrique du Sud, les appareils de David Goldblatt, Ernest Cole et Santu Mofokeng ne capturèrent pas de célébration ni rien de glamour, mais les réalités de l’apartheid et de la société sud-africaine à cette époque. Leurs clichés en noir et blanc mettent en avant les enjeux sociaux et communautaires quotidiens, tandis que la luminosité, le contraste, les ombres, les angles et les textures infusent leurs images d’esprit et de poésie. Ils furent une grande source d’inspiration dans leur pays ainsi qu’au nom de la photographie africaine contemporaine.

 

Santu Mofokeng. 1985. Chicken Farm Shebeen - Rockville. Série: Cantons-de-l'Est. © L'artiste. Avec l'aimable autorisation de l'artiste et MAKER / Lunetta Bartz, Johannesburg

 

Peu à peu, alors que les beaux jours des mouvements d'indépendance cédaient la place aux états postcoloniaux, les représentations visuelles dans la photographie africaine ouvraient une porte sur la condition postcoloniale. S’en tenant au portrait - un trope visuel de longue date dans cette tradition photographique - les photographes ont tourné l'objectif vers eux-mêmes dans un geste introspectif et critique. Cette condition postcoloniale individuelle et collective est étroitement liée au lourd héritage du colonialisme et des politiques identitaires. L'aspect joyeux et populaire de ces premiers portraits se heurte par la suite à une approche artistique plus nuancée. Poursuivant la tradition de la photographie de studio, les autoportraits de Samuel Fosso (né en 1962 / Cameroun) illustrent l'ouverture de la pratique à des compositions d'expression du soi performatives et critiques, parfois même politiques. À cet égard, on peut également penser au travail de Rotimi Fani-Kayode.

 

 

Samuel Fosso. 1976 & 1997. Autoportrait & Le Chef (qui a vendu l'Afrique aux colons). © Samuel Fosso. Avec l'aimable autorisation de The Walther Collection et Jean Marc Patras / Galerie  

 

À partir du milieu des années 60, la photographie en Afrique et dans sa diaspora s’est construite sur cet héritage, maintenant des fins sociales et documentaires, loin des images stéréotypées et dégradantes produites par les médias de masse. Lors de cette période, les photographes ont repoussé les limites de la photographie et affiné leurs processus visuels, conceptualisant de plus en plus leur travail comme des beaux-arts. Le collectif Kamoinge, basé à Harlem, qui était actif dans la seconde moitié du siècle dernier, considérait la photographie comme une opportunité pour revendiquer le visuel de la vie quotidienne des citoyens noirs dans toute sa beauté, sa complexité, sa poésie et son intemporalité. Ces décennies furent une période de mondialisation, d'échanges interculturels et d'urbanisation rapide en Afrique. Ces phénomènes ont certainement influencé la vision des photographes ainsi que leurs sujets. Les développements technologiques et numériques, les échanges artistiques et une pratique rigoureuse ont élargi le champ de la photographie africaine contemporaine.

Dans les expositions In/sight : African Photographers, 1940 to the present (1996), puisSnap Judgments: New Positions in Contemporary African Photography (2006) – présentées à New York - le défunt conservateur Okwui Enwezor décrivit plusieurs tendances dans le développement des pratiques photographiques en Afrique, soulignant l'importance d'une perspective intérieure sur les réalités africaines. Snap Judgments était organisée autour de quatre thèmes principaux: les formations urbaines, le paysage, l'histoire et la représentation, le corps et l'identité. Ces thèmes relient en quelque sorte les réalisations des premiers portraitistes de studio et de rue, et la culture visuelle postmoderne et postcoloniale qui s'ensuit, afin d’offrir un cadre complet à la photographie africaine. Ils ne sont en aucun cas exclusifs ou conceptuellement limitatifs.

Ce que les pratiques contemporaines démontrent aujourd'hui sont une approche et une compréhension multidisciplinaires de la photographie en tant que forme artistique. Compte tenu de la variété et de la richesse des expériences et des contextes dans lesquels les perspectives africaines, ou de la diaspora, s'épanouissent, et des enjeux propres à cette communauté, la photographie contemporaine ne cesse d’innover. Complétant un style déjà socialement engagé et documentaire, la photographie africaine est allée à la rencontre de la mode, l'architecture, l'archive, le collage, le dessin, la performance, la technologie, l'installation ou l'artisanat de manières artistiques innovantes. – par ex. the Photographic Collective.

 

Delphine Diallo, 2011, Highness Hybrid 8, © Delphine Diallo avec https://pavillon54.com/artists/56-delphine-diallo/works/246-delphine-diallo-highness-hybrid-8-2011/ 

 

Dans une décennie (2015-2024) qui a été proclamée la Décennie internationale des personnes d'ascendance africaine par l'Assemblée générale des Nations Unies, les explorations visuelles faisant allusion à l'ascendance, aux notions de mémoire, de patrimoine culturel, de nostalgie, de folklore ou de spiritualité sont de plus en plus au coeur de la photographie africaine contemporaine. Ces notions font quelque peu appel aux différentes techniques et textures qu'implique la photographie, la photographie étant un prisme de notre existence.

Khadija Saye. 2017. Nak Bejjen. Série: Habitation: dans cet espace, nous respirons. Photographie, type de collodion en plaque humide sur métal © Estate of Khadija Saye - Récupéré de https://www.tate.org.uk/art/artworks/saye-nak-bejjen-t15140

Il ne serait pas sage d'étudier la photographie africaine contemporaine de manière traditionnelle, linéaire et déterminée, ou comme un tout défini. Si la subjectivité, la position existentielle et les réalités sociales du photographe ont évolué au cours des dernières décennies, les productions visuelles et les idées contemporaines ont rencontré le même sort. Les témoignages de la créativité abondante et plurielle qu'impliquent les subjectivités africaines et noires dans les pratiques photographiques contemporaines de l'Afrique et de sa diaspora mondiale défient toute classification ou frontière.

Des festivals tels que Les Rencontres de Bamako, Addis Foto Fest ou LagosPhoto, et des initiatives telles que Cap Prize, le Market Photo Workshop, The African Photography Network, Photo: ou le Nuku Studio ont dévoilé et se sont imprégnés des talents et des trajectoires visuelles exhaustives des pratiques contemporaines.

Si votre affinité avec la photographie africaine demeurait basée essentiellement sur la vision des premiers praticiens, ou si vous souhaitez accéder à des informations fructueuses sur ses développements, les deux numéros récents suivants, édités par Ekow Eshun, élargiront votre perspective sur le sujet:

-   Africa State of Mind – Contemporary Photography Reimagines a Continent (2020) par Thames & Hudson

-   Africa 21e Siècle – Photographie Contemporaine Africaine (2020) par Éditions Textuel   

Également :

-   Platform Africa (2017) par Aperture Magazine (Summer Issue)

-   https://www.artnews.com/art-news/news/photography-africas-most-popular-art-form-10519/  

      

Malick Kebe, God of Water, © Malick Kebe avec https://pavillon54.com/artists/58-malick-kebe/works/456-malick-kebe-god-of-water/

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