À une époque marquée par les répercussions considérables du changement climatique, l'Afrique se trouve aux prises avec ses profondes ramifications, supportant un fardeau disproportionné en raison de sa position géographique unique, de ses complexités économiques et de ses capacités limitées. Le continent est désormais confronté à une fréquence accrue de sécheresses, d'inondations et d'autres phénomènes météorologiques erratiques, qui aggravent les vulnérabilités préexistantes et mettent en péril les moyens de subsistance d'un nombre incalculable de personnes. L'empreinte du changement climatique se manifeste clairement par des systèmes agricoles perturbés, un paysage de sécurité alimentaire précaire, tandis que la tapisserie complexe de la biodiversité et des écosystèmes est confrontée à un danger sans précédent.
Au milieu de ce creuset de défis, un récit inspirant se déroule alors que les artistes africains se placent sur le devant de la scène en tant que catalyseurs du changement. Exploitant l'expression créative, les artistes se sont lancés dans une mission visant à mettre en lumière les terribles réalités du changement climatique et à lancer un appel à l'action au sein des communautés locales et de l'arène mondiale. Grâce à leurs efforts, les artistes africains ne se contentent pas de propulser la crise au premier plan de la conscience collective, ils soulignent également le potentiel de transformation de l'art en tant qu'instrument puissant de métamorphose de la société. Dans cet article, nous présentons une poignée d'artistes du continent qui émergent pour répondre à la crise climatique.
Banji Chona, Zambie
Le travail de Banji Chona est guidé par les interactions complexes au sein de la communauté où elle vit et par la richesse des organismes vivants qui l'entourent. L'artiste s'inspire des peuples indigènes Tonga, Tokaleya et Lozi et de leur relation profonde avec l'environnement qui s'étend sur des millénaires. Les toiles de Chona font écho au cœur de la vie villageoise, comme les maisons construites selon des principes durables dérivés de l'architecture vernaculaire zambienne. Elle entrelace magistralement des éléments végétaux, comme des poteaux de bois et de l'herbe séchée, avec de l'argile (comme le musila, un ocre rouge) et des sous-produits de l'élevage, comme la bouse de vache.
Ses recherches montrent que l'influence étrangère a redéfini la relation des communautés indigènes avec la terre et les écosystèmes naturels, non seulement dans la province méridionale où vit l'artiste, mais aussi dans toute la Zambie. Le travail de Chona ravive les flammes faiblissantes des racines indigènes et remet en question l'impact de l'imposition étrangère, ce qui témoigne de son rôle d'agent de transformation dans la refonte des récits culturels et la préservation de l'harmonie de l'environnement. Au cœur de sa pratique se trouvent l'exploration et le dialogue entre la Zambie ancestrale, le présent et le(s) futur(s) projeté(s).
Matriarches Chlorophylle Série d'impression en cours. Simonga 2023. Image de l’artiste et C&
Aïda Muluneh, Ethiopie
Aïda Muluneh a profondément marqué les esprits avec sa série Water Life, qui suscite la réflexion et témoigne de son engagement dans la lutte contre les problèmes liés au climat et à l'eau. Dans cette collection captivante de photographies, Muluneh élabore un récit visuel qui explore l'interaction complexe entre l'humanité et l'élément essentiel qu'est l'eau. À travers son objectif, Muluneh incarne la vitalité et la rareté de l'eau, invitant les spectateurs à réfléchir à son importance profonde dans nos vies. La série se déploie comme une poésie visuelle, utilisant des teintes vives et des compositions frappantes pour souligner la fragilité de cette ressource précieuse. Chaque image résonne avec l'appel urgent à l'action, soulignant les conséquences désastreuses du changement climatique sur la disponibilité de l'eau.
Par ailleurs, Water Life transcende le domaine de la simple documentation environnementale. Muluneh tisse habilement des symboles culturels et des éléments indigènes, soulignant le lien complexe entre l'eau et l'identité culturelle. Cette approche amplifie son message, unissant les préoccupations écologiques à la préservation du patrimoine.
Aïda Muluneh, (Water Life Series), 2018, 80 x 80 cm. Image de Artnet
Pascale Marthine Tayou, Cameroun
Pascale Marthine Tayou est une artiste africaine contemporaine de premier plan, mondialement connue pour ses expositions dans des institutions réputées. Son parcours artistique s'est d'abord manifesté au sein de Doual'art, une ONG artistique camerounaise dédiée à l'urbanisme africain. Au cœur de l'éthique créative de Tayou se trouve la transformation ingénieuse de matériaux jetables collectés au cours de ses voyages - allant des billets de train aux rasoirs en plastique - en œuvres d'art qui résonnent.
Le concept de "recyclage du banal" est au cœur de son œuvre. À travers le prisme des déchets plastiques, Tayou aborde des thèmes à multiples facettes, notamment la pollution plastique de l'Afrique, l'économie, la migration et la politique. Dans les années 1990, il a exploré les dimensions socio-économiques du VIH/SIDA en Afrique. Toutefois, plus récemment, il a changé d'orientation artistique, comme en témoignent ses installations à grande échelle réalisées à partir de déchets plastiques. Ces créations impressionnantes ne mettent pas seulement en lumière la crise environnementale urgente de l'Afrique, mais vont également au-delà du récit de la victimisation, exhortant les jeunes Africains urbains à s'interroger et à orienter leurs choix vers un avenir environnemental durable.
La trajectoire de Tayou est marquée par une évolution des commentaires socio-économiques vers un appel urgent à la prise de conscience environnementale. Son art est un miroir convaincant qui reflète à la fois les défis auxquels l'Afrique est confrontée et le potentiel d'action transformatrice, faisant de lui une force directrice pour une génération prête à façonner le destin environnemental de l'Afrique.
Pascale Marthine Tayou, Plastic Tree, 2014/2015 Art Basel
Ifeoma U. Anyaeji, Nigeria
L'artiste nigériane Ifeoma U. Anyaeji, née à Benin City, façonne son art "néo-traditionnel" distinctif en transformant des déchets plastiques en sculptures et accessoires complexes. Inspirée par la tradition africaine du recyclage, elle élève les sacs en plastique usagés au rang de matériaux de "grand art", en leur insufflant une nouvelle vie. Son travail, bien qu'enraciné dans la tradition, porte également un discours féministe, soulignant les luttes auxquelles les femmes artistes africaines sont confrontées. Les sculptures d'Anyaeji, qui utilisent souvent du plastique en guise de cheveux, s'inspirent de la tradition africaine du tressage des cheveux, favorisant ainsi un dialogue autour de la culture matérielle.
Récemment exposée à Tramway, en Écosse, Anyaeji est une artiste en milieu de carrière qui fait des vagues avec son plasto-art. Utilisant des plastiques non biodégradables, ses mosaïques de bouchons de bouteilles en plastique et de "fils" tissés font appel à des techniques nigérianes traditionnelles telles que l'enfilage, la vannerie et le tissage de tissus. Ces méthodes à forte intensité de main-d'œuvre, souvent négligées dans les environnements contemporains, confèrent à son travail une résonance unique. Avec ses boules colorées et ses sculptures complexes, Ifeoma U. Anyaeji capture la tradition, la conscience environnementale et les récits féministes dans une tapisserie de créativité.
Ifeoma U. Anyaeji, Kù fa àkùpè (Fan them), Image de Galleria Primo Marella
Daylin Paul, Afrique Du Sud
Le photographe Daylin Paul a remporté le prix Ernest Cole 2017 avec son puissant projet Broken Land, qui met en lumière la face cachée de la dynamique du pouvoir. Situé à Mpumalanga, une région qui abrite 46 % des terres fertiles d'Afrique du Sud, le projet met en lumière la coexistence des centrales électriques au charbon et de l'agriculture. L'objectif de Paul dévoile les graves conséquences de ces centrales sur l'économie locale, la population et le climat. Malgré les réglementations visant à protéger l'écologie et les avantages pour les communautés, les mines de charbon balafrent la terre, tandis que les centrales électriques émettent d'importantes quantités de gaz à effet de serre et contaminent les sources d'eau essentielles à la survie. Les sécheresses dévastatrices aggravent les difficultés de la région.
L'histoire va au-delà des préoccupations environnementales et se mêle à la politique nationale. Le rachat des mines de charbon de Glencore par Optimum Coal Holdings, propriété de la famille Gupta, révèle des scandales de corruption qui touchent les plus hautes sphères du pays. La mission de Paul mêle des questions macroéconomiques telles que la pollution et le changement climatique à des histoires personnelles de ceux qui sont aux prises avec la crise. "Broken Land" ne se contente pas de dépeindre le présent, mais offre un aperçu d'un avenir potentiellement sombre pour l'Afrique du Sud et l'ensemble de la région de la SADC.
Daylin Paul, Livestock grazing near Matla Power Station (2018) © l’artiste