Tendance dans l’art contemporain africain – L’identité noire dans le portrait contemporain.
La dernière exposition tenue à la « African Artists’ Foundation » à Lagos, Liminality in Infinite Space, a révélé l’attachement notable de l’art africain contemporain à la figuration et au portrait – accédez au catalogue ici. L’exposition semble avoir deux objectifs. Premièrement, « cette exposition retourne vers des pratiques artistiques plus traditionnelles, telles que la peinture, le collage, la tapisserie et la gravure sur bois ». Deuxièmement, et d’une perspective de représentation, « elle s’écarte intentionnellement des représentations exagérées d’individus noirs en faveur de représentations de partages de moments de vulnérabilité et de moments de joie mondains ». Ce n’est pas surprenant, à une époque ou le corps noir est assujetti à toutes sortes de fixations, de soumissions, d’agressions et de célébrations.
Dans un monde ou le corps noir est constamment instrumentalisé, ou la source d’une multitude de fantasmes, Liminality in Infinite Space révèle le corps noir dans son intimité souveraine.
Zandile Tshabala. Paradise IIIIII. 2020. Acrylique sur toile. 120 x 90 cm. © Zandile Tshabala /AAF – extrait de view.publitas.com
Navigant sur les fils de réseaux sociaux associés à l’art contemporain africain en ce moment, on a l’impression que l’influence de Kerry James Marshall a été ressuscitée. Les figures noires dépeintes dans les travaux de Johnson Eziefula, Zandile Tshabalala ou WonderBuhle sont d’un ton remarquablement sombre. Cette tendance figurative - qui pourrait être perçue comme une affirmation – supporte un humble dessein. Cette exposition collective adopte la vie quotidienne des individus noirs comme allégeance visuelle et inspiration.
© Kerry James Marshall 'Bang' (1994), Acrylic and collage on canvas, 104 x 120 in.
Avant cette exposition, le conservateur Azu Nwagbogu – le directeur de la African Artists’ Foundation – a organisé une exposition de groupe intitulée « The Medium is the Message » à la galerie Unit London. Il se trouve que les deux expositions partagent le même objectif. Le style de conservation de Nwagbogu aspire à la mise en avant de l’identité noire en tant qu’élément exprimé par les matériaux. La diversité et la richesse de l’expression visuelle et artistique dans chacune des expositions prennent réellement en compte la nature sensible et honnête des identités noires. De tels travaux figuratifs nous rappellent que le portrait africain contemporain peut demeurer sûr, pluriel et mondain dans sa relation avec le corps noir.
Installation shot of exhibition 'The Medium Is The Message' Curated By Azu Nwagbogu
La peinture et le portrait figuratif exigent un certain niveau de technique et de contrôle qui est, dans ce contexte, au service de la vulnérabilité et du naturel. La scène artistique nigériane a vu de puissantes réalisations hyperréalistes atteindre les gros titres. De telles prouesses artistiques sont souvent estimées au vu des compétences techniques importantes qu’elles requièrent. Quand ils se détachent de l’exactitude stricte des traits de ressemblance et octroient à leurs personnages une puissante composition visuelle commune, des artistes contemporains tels que Kwesi Botchway ou Amoako Boafo ont donné à l’identité et au corps noir l’opportunité de s’exprimer avec affranchissement et conviction.
Kwesi Botchway. Like Son Like Father. 2020. Acrylique sur toile. Approx. 150 x 140 cm. © Kwesi Botchway
Les artistes exposés ainsi que plusieurs de leurs pairs semblent naviguer entre des représentations et portraits réalistes, et des projections déconcertantes. Inspirés par la vie quotidienne et le mondain, leurs portraits gardent de la place pour la réappropriation. Si on observe le corps de travail de Raphael Adjetey Mayne, on ressent essentiellement le caractère mondial et afro-individuel de son mouvement anonyme, qui est présent afin de rendre sa meilleure performance. La capacité à rester anonyme est un privilège auquel les individus noirs ont eu un accès limité. Actuellement exposé en solo pour The Joy of My Skin à la galerie d’art contemporain Geukens & De Vil à Anvers (Belgique), Mayne affirme « dans un monde qui se focalise sur la souffrance et les images de brutalité et de corps ecchymosés, créer de la joie est un acte absolument radical ». Sa déclaration fait échos à l’objectif de l’exposition Liminality in Infinite Space.
Raphael Adjetey Adjei Mayne. In Hands. 2020. Acrylique sur toile. 205 x 160 cm. © Raphael Adjetey Adjei Mayne – extrait de raphaeladjeteymayne.com
Ce mouvement fluide et mondain vers la négritude dans l’art contemporain africain est rafraîchissant dans une culture médiatique visuelle qui consume le corps noir à travers la fétichisation et l’hyper-stylisation. Dans bien des cas, le regard vulnérable bien que déterminé des personnages dépeints saisit le spectateur d’empathie. Les utilisations et approches différentes au portrait soutiennent ici la pluralité des identités noires.
Amy Sherald. Precious Jewels by the Sea. 2019. Huile sur toile. Approx. 305 x 274 cm. © Amy Sherald and Hauser & Wirth – extrait de newyorker.com
Cette tendance figurative est tout sauf anodine. Son radicalisme doit bien plus à la volonté de contrarier les représentations conventionnelles de l’identité noire qu’à sa rhétorique singulière autour des peaux foncées. Pour reprendre les mots de la peintre américaine Amy Sherald, « je veux que mes portraits créent un espace ou l’identité noire peut respirer ». Et si cette entreprise revigore la figuration et le portrait traditionnels avec des contours, contrastes et couleurs plus vifs, qu’il en soit ainsi.