Pavillon 54 a eu l'opportunité de discuter avec l'artiste Saint-Etienne Yéanzi. Né en 1988, il a été diplômé en peinture et en photographie du Lycée d'Enseignement Artistique de Cocody, Abidjan, et de l'École Nationale des Beaux-Arts d'Abidjan en 2012.
Amateur de Street Art, Yéanzi a travaillé comme portraitiste sur comission pendant 10 ans. Depuis 2013, il s'est concentré sur son travail personnel, qui consiste à l'utilisation de plastique fondu. Comme beaucoup d'autres artistes africains, ce n'est pas avec le désir d'apparaître comme un artiste "écolo" qu'il a commencé à créer ces œuvres, mais plutôt avec le désir de mettre en valeur les objects du quotidien dans sa culture et d'exposer une opinion engagée sur le capitalisme, le colonialisme, et le consumérisme sur le continent africain. Visionnez la vidéo de l'interview.
Quand et comment as-tu approché l'art pour la première fois?
Pour parler de mon premier contact avec l'art je dirais que ça s'est fait tellement naturellement que je ne m'en rappelle plus réellement. Je sais juste qu'aussi longtemps que je me souvienne - je devais avoir 5 ou 6 ans quand j'ai commencé - j'étais très tôt attitré par les bandes dessinées, les dessins animés, puis j'ai commencé à faire des premiers petits dessins. Donc c'est vraiment une chose avec laquelle j'ai grandi, aussi loin que je me souvienne. C'est plutôt les bandes dessinées et les dessins animés, C'est ça qui m'a fasciné et puis qui m'a attiré à l'art pour la première fois.
Parle nous de ta technique d'utilisation du plastique
Je n'apprécie pas trop d'être résumé seulement à la technique parce que c'est super en art de le voir comme ça, mais moi c'est le sujet d'abord qui me dicte ce que j'ai à faire. Au départ de cette aventure, j'ai un sujet. Un sujet aussi important que les crises identitaires - le Brexit survient je crois 3 ou 4 ans après, donc je ne sais pas si c'est un travail prémonitoire d'interroger en fait, les clivages et les fractures sociales pour savoir quel type de personnes nous sommes quand nous nous projetons dans une communauté ou dans une société. C'est déjà un sujet difficile, il faut qu'on comprenne mon sujet, donc il faut que moi en tant que créateur, j'utilise des matériaux et des outils qui communiquent plus facilement. C'est comme ça quand je suis en pleine réflexion. J'écoute beaucoup l'actualité, et c'est dans cette écoute de l'actualité que, quand j'entends dire à la radio que l'état de Côte d'Ivoire a promulgué une loi pour l'interdiction des sachets plastique - je connaissais déjà le fléau lié à ça, pour les océans, les mers et tout ça - c'est là je me penche dessus. C'est un fléau donc c'est quelque chose que les gens comprennent.
Pour moi, le type d'être humains que nous sommes, qui devrait évoluer dans un monde, dans une société, on est en train de progressivement détruire pour d'autres types de vérités... On ne peut pas détruire notre maison, un endroit ou on vit tous, comme ça. L'écologie ça devrait même pas être un concept, c'est vraiment une urgence mondiale, capitale, qui doit motiver la volonté des uns et des autres, ça ne doit pas être juste une chose sur laquelle on va mener des campagnes, c'est vraiment quelque chose d'aussi d'immédiat que de penser à mettre son enfant à l'école, mettre de la bouffe sur la table... On ne peut pas détruire l'environnement dans lequel on vit. Je pense que c'est quelque chose de tellement élémentaire qu'on ne devrait même pas faire prendre conscience aux gens qu'on détruit notre planète, parce que si elle est foutue, où est-ce qu'on va vivre?
Comment penses-tu que la pratique du portrait t'as aidé à développer l'art que tu fais aujourd'hui?
Comment penses-tu que la portraiture a changé dans l'art contemporain?
C'est pas juste la question de la pratique de l'art du portrait, c'est général. On a des artistes comme Bruce Clarke, le sud-africain, comme Ibe Ananaba, le nigérian, et d'autres artistes aussi comme JR en France, donc l'usage de cette technique picturale, elle a beaucoup évolué, au point de devenir une sorte de premier moyen de communication, parce que c'est ce qu'est le visage. Les expressions du visage, la mobilité du visage, tout cette force qui se dégage du visage, le fait que le visage finalement soit notre identité, qu'elle soit immortalisée, fichée sur des papiers d'identité, fichée pour des caméras, fichée dans des bases de données, finalement la manipulation de l'image, la manipulation du portrait, occupe aujourd'hui une place centrale.
Comment t'identifies-tu à l'idée de la diaspora africaine?
Pour moi qui voyage beaucoup, c'est tout ce qui découle de la rencontre avec l'autre qui a fait naître ce projet sur ces interrogations sur la question de l'identité, donc la rencontre avec l'autre c'est très déterminant. Dans la réflexion que j'ai, notre façon d'interagir avec les autres, ça sera très déterminant pour notre identité moderne, donc dans nos rapports commerciaux, dans nos rapports idéologiques, dans nos rapports sociaux, dans nos rapports religieux, c'est très très déterminant. Moi je suis quelqu'un qui n'est pas difficile - je ne sais pas, peut-être que c'est parce que je suis un artiste - je dirais que je sais aller vers l'autre sans trop de rigueur. J'ai pas peur de disparaître parce que je sais qui je suis et d'où je viens. Je pense que c'est la peur de disparaître qui pousse les uns et les autres à se méfier et à ne pas aller vers l'autre, donc c'est cette peur de disparaître qui pousse aussi les gens à ne par interagir avec l'autre. Elle est très très bienvenue pour moi cette approche de l'autre. Pour ceux d'entre nous qui vivent dans la société occidentale depuis très très longtemps, depuis des générations, depuis des années, je pense que c'est vraiment une question qui est très importante parce que notre façon d'aller vers l'autre, c'est non seulement déterminant pour notre avenir, mais aussi pour l'avenir du continent africain. Donc c'est notre façon de nous développer au contact de l'autre qui va déterminer qui nous serons.
Quelle est ton opinion sur la mise en lumière actuelle sur la culture visuelle noire?
Déjà, je dirais que je suis heureux parce que c'est bénéfique pour moi, pour nous, donc on est forcément heureux que ça se fasse maintenant parce qu'il y a quelques années vous aviez des El Anatsui, et d'autres artistes, qui ne valaient pas ce qu'ils valent aujourd'hui. Donc c'est forcément très très réjouissant pour nous, mais y a aussi le fait que la création dite africaine est née à un moment ou elle subit trop cette identification d'art dit africain. Un art c'est une création qui est faite pour le monde, donc ou elle est visuelle, ou c'est un art vivant, mais c'est vraiment des créations pour le monde. J'ai même envie de dire que c'est un processus qui est venu un peu tard, qui devait se faire beaucoup plus tôt, mais c'est un héritage social, politico-social, donc je comprends que ça se passe comme ça aujourd'hui. Mais ça devrait emmener les créateurs africains à prendre conscience de ce qu'ils valent vraiment. Le rôle de l'artiste ce n'est plus cet homme noir à genoux qui tend la main et demande d'être porté, demande d'être nourrit, non, la création africaine devrait prendre conscience de toute sa force, de tout l'impact qu'on peut avoir sur le développement du monde moderne, du monde actuel. Que les créateurs africains prennent conscience du fait qu'ils ont aujourd'hui une place qui n'est pas donnée mais qui est légitime. Il faut qu'on prenne conscience du fait que cette plateforme qui a l'air d'être un honneur qui nous est fait, devrait être bien plus appréciée encore, comme un signal, un signe pour nous faire prendre conscience que désormais, il faudra compter avec nous.
Et qu'on a des choses à dire, et qu'il ne faut pas se taire, et qu'il faut parler quand on a des vraies choses à dire. C'est un peu ce que je peux dire par rapport à ça, c'est que c'est dans la psychologie même et la mentalité même des créateurs africains que les choses doivent être beaucoup plus claires et qu'ils doivent essayer de tirer des leçons de cette mise en lumière récente de la création venant de notre continent.